Saturday, December 11, 2010


L’une des nombreuses photos prises à la frontière Iran-Azerbaïdjan en décembre 2005. Cette photo montre un camion jetant délibérément les restes des célèbres khatchkars du cimetière de Djoulfa* dans la rivière Araxe.

Il y a cinq ans ce mois-ci, un cimetière antique situé dans une région reculée du sud-ouest de l'Azerbaïdjan a été effacé de la surface de la terre. Ces pierres tombales du cimetière, uniques et aux sculptures complexes, connues sous le nom de khatchkars - ce qui signifie littéralement en arménien croix de pierre (dont l'art est classé par l’UNESCO au patrimoine culturel immatériel de l’humanité)-, ont été considérées comme les dernières victimes du conflit arméno-azerbaïdjanais, conflit qui s’est matérialisé par une guerre survenue au début des années 1990 à propos de la région du Haut-Karabagh. Mais leur destruction était aussi une violation plus large des droits de l'homme - non seulement contre les Arméniens, mais contre tous les citoyens de l'Azerbaïdjan à qui l’on a refusé la chance d'explorer et d’apprécier une histoire souvent gênante.

Si la guerre du Karabakh qui a pris fin en 1994, a détruit des milliers de vies et a endommagé des monuments culturels des deux côtés** (chaque côté niant de façon égale sa propre responsabilité dans les pertes humaines), la destruction du cimetière de Djoulfa en décembre 2005 était unique, car elle s’est déroulée après la guerre dans une région appelée Naxçivan (ou Nakhitchevan***) où aucune escarmouche n'avait eu lieu (et où les Arméniens ne vivent plus). La destruction délibérée de Djoulfa était plutôt une guerre contre l'histoire : un acte calculé pour exclure un retour futur de l'héritage arménien en niant son existence originelle en premier lieu.


Bien qu’aujourd'hui la victoire de l'Arménie dans la guerre avec l'Azerbaïdjan sur le Nagorno Karabakh au début des années 1990, soit généralement comprise comme étant la raison de la destruction de Djoulfa, les inquiétudes concernant le patrimoine arménien en Azerbaïdjan prennent leurs racines dans le début du conflit non résolu lui-même. Selon le texte du rapport en date du 31 décembre 2000, du Projet Minorités en Danger :

Les Arméniens craignent que le caractère arménien du Karabakh ne disparaisse comme ce fut le cas au Nakhitchevan pendant des décennies, où la population arménienne a complètement a disparu et où tous les monuments arméniens ont été systématiquement enlevés (et selon certains, détruits) par les autorités azerbaïdjanaises.

L'affirmation indiquant que l'on a complètement nettoyé le patrimoine arménien natal de la région est indirectement affirmée par des officiels azéris. Hasan Zeynalov, par exemple, a exposé ceci :

Les Arméniens n'ont jamais vécu au Nakhitchevan, qui a été une terre azerbaïdjanaise de temps immémorial et c'est pourquoi il n'y a aucun cimetière ni monument arménien, car il n’y en a jamais eu.

La destruction de Djoulfa (le dernier monument arménien médiéval qui aurait été préservé - les plus récents ne sont pas détruits puisqu'ils sont en conformité avec la théorie officielle indiquant que les Arméniens ont vécu dans cette région depuis le 19ème siècle uniquement) est bien davantage qu’une simple manifestation du conflit du Haut-Karabagh. Ce fut une suppression du droit à la mémoire, une oppression vis-à-vis du droit à l'expression culturelle et la pire manifestation de la perception d'un détenteur de pouvoir quant à sa propre infinitude à contrôler les questions sociales (après la destruction de Djoulfa, les autorités locales du Naxcivan [Nakhitchevan] ont également détruit des salons de thé privés, probablement pour que des dissidents présumés ne s’y réunissent pas).

Pour saisir la nature de la destruction de Djoulfa, parcourez le réseau du Global Heritage sur Google Earth, mis en place par le Fonds du Patrimoine Mondial. Le réseau contrôle des centaines de sites archéologiques et culturels majeurs, chacun possédant son code couleur, vert (stable), jaune (en danger), rouge (sauvetage nécessaire), ou noir (détruit).

Heureusement, seuls trois monuments de la longue liste sont marqués en noir et deux de ces trois sites listés sont les seuls monuments historiques délibérément (et complètement) détruits par le pouvoir en place. L’un d’eux est le site des Bouddhas de Bamiyan détruit par les Taliban juste avant l'invasion américaine [Afghanistan]. L'autre site, c’est le cimetière de Djoulfa et ses khatchkars détruits en Azerbaïdjan.

La plupart des gens ont entendu parler de la destruction des Bouddhas de Bamyan et ils l’ont condamnée, mais peu nombreux sont ceux qui ont écouté les cris des khatchkars de Djoulfa, ces voix sans défense et assourdies d'une culture gênante complètement détruite par les autorités au Naxicevan [Nakhitchevan]. Pour le cinquième anniversaire de la destruction d'un lieu sacré de la mémoire, laissez les pierres rendues muettes, crier toute l'importance du respect et de la protection du patrimoine mondial.


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