Monday, August 9, 2010


Sauvegarder les monuments arméniens





Le nom de l’institut de Recherches sur l’Architecture Arménienne (RAA pour Research on Armenian Architecture) est beaucoup moins connu du public que le nom de l'UGAB ou du Hay Tad. Pourtant, l’œuvre entreprise par ce groupe de passionnés est monumentale et digne d'une institution gouvernementale. Les objectifs de l’organisation sont les suivants : explorer les territoires naguère habités par les Arméniens, enregistrer chaque objet témoignant de leur présence et reconstituer l’histoire des monuments et des habitations, en les insérant dans le contexte général de l’histoire nationale. Autrement dit, il s’agit de sauver - ne serait-ce que sur le papier - ces traces que certains tentent d’effacer de la terre. Le champ d’action de la RAA s’étend de la Géorgie, à l’Azerbaïdjan, en pensant par la Turquie et l’Iran.




Le fondateur de l’organisation, Armen Hakhnazarian, est né en Iran où son père, Hovannes Hakhnazarian, occupait le poste de proviseur des écoles arméniennes de Téhéran. Pendant les années 60, le jeune Armen Hakhnazarian, alors étudiant à la faculté d’architecture de l’Université d’Aix-la-Chapelle, commence à rassembler des matériaux afin de préparer sa thèse sur l’architecture arménienne. Outre le simple paramètre architectural, il prend en compte et analyse l’éparpillement des monuments, leur destruction mais aussi sur les moyens de les protéger. Il se rend en Turquie à plusieurs reprises et y constate l’état pitoyable des églises arméniennes ; au fil de ses visites, il constate également la disparition de certains édifices qu’il avait vu auparavant. A la fin des années 60, il fit une rencontre importante en la personne de Vazguen Barseghian. Ce rescapé du génocide installé à New-York, était professeur de physique dans une université américaine. Il s’engagea alors à financer les travaux de la RAA, et en particulier l’impression des nombreuses diapositives (soit 7 volumes de 5000 photos). Malheureusement, il disparaîtra brutalement sans jamais être remplacé.

Les premières visites d’Armen Hakhnazarian en Arménie soviétique ont commencé au début des années 1980. Il coopèrera alors étroitement avec le Comité pour la protection de l’héritage culturel de l’Arménie soviétique ; c’est là qu’il fera la rencontre de Samvel Karapetian qui deviendra plus tard l’autre pilier de la RAA. Le parcours de ce dernier est tout à fait atypique pour un homme né en URSS. Dès son enfance, il est marqué par les récits de son grand-père, rescapé du génocide et seul survivant d’une famille de vingt-huit personnes. Dès 1978, il se rend dans les territoires arméniens annexés par l’Azerbaïdjan, et plus particulièrement dans ceux se trouvant de part et d’autre de la rivière Koura. Il nous confia qu’à "
l’époque lorsque j’ai fait ce voyage je n’étais qu’un modeste amateur ; bien sur, je faisais des croquis, mais ils manquaient de précision et de professionnalisme. Mais désormais, ils constituent la seule documentation que nous possédons sur ces régions. Quand je dis " nous " j’entends les Arméniens ". En parallèle, la RAA s’implique également dans la reconstruction des monuments historiques. Pour des raisons évidentes, ce travail ne peut être entrepris que sur le territoire de l’Arménie et du Karabakh, car ni la Géorgie, ni l’Azerbaïdjan, ni la Turquie n’autorisent les spécialistes Arméniens à approcher les monuments. La République Islamique d’Iran quant à elle, a toujours eu le souci de préserver et de restaurer les monuments arméniens et ce, avec le soutien de la communauté locale. Depuis le début des années 90, Armen Hakhnazarian a dirigé la restauration de 9 églises sur le territoire arménien. Actuellement, la RAA restaure l’église du complexe monastique de Dadivank (Karabakh) ainsi que l’église principale du complexe monastique d’Ushi (Arménie).

Le département de recherche et de publication de la RAA dirigé par Samvel Karapetian, a publié à ce jour huit volumes de documentations précieuses car méconnus du grand public (Les monuments culturels du Haut-Karabakh, Les monuments arméniens en Kakhétie (est de la Géorgie), Les maires de Tbilissi, La collection arménienne du musée caucasien, Les forteresses des princes du Karabakh et du Siunik etc).
" Lorsque j’ai commencé à voyager, raconte Samvel Karapetian, j’ai choisi comme destination prioritaire l’Azerbaïdjan. Connaissant l’animosité envers tout ce qui était arménien, je savais que les monuments historiques pouvaient disparaître du jour au lendemain. Mes voyages vers la Géorgie n’ont débuté qu’en 1988 ; pourtant, j’y ai découvert là-bas des choses qui m’ont profondément choqué. Je peux vous assurer qu’en matière de destruction de monuments historiques, les Géorgiens auraient beaucoup à apprendre aux Azéris et aux Turcs. " Les publications de la RAA sont réalisées par l’imprimerie " Zaven & Sons " de Beyrouth. Armen Hakhnazarian parle avec beaucoup d’affection de son propriétaire qui travaille souvent à crédit. Samvel Karapetian se souvient d’un ouvrage intitulé Karabakh du Nord, les territoires perdus du pays vainqueur qu’il souhaitait faire éditer. Le livre était si volumineux que le coût de son impression s’était révélé être hors de prix pour la RAA ; Zaven lui confia alors : " avec ou sans argent nous allons le publier ". En 1998, la RAA et l’organisation " Terre et Culture " ont alarmé l’UNESCO et les communautés arméniennes de la destruction du cimetière des khatchkars (V-XVIIe siècles) à Hin Djugha (Nakhitchevan). Grâce à cette intervention, la destruction fut temporairement interrompue. Néanmoins, les photos prises le 25 novembre 2002 par le responsable de " Terre et Culture ", M. G. Gevonian, attestent de la totale disparition des 3000 khatchkars du site. Ces photos peuvent être consultées sur le site web de la RAA (www.raa.am). En septembre dernier, l’exposition de photographies (puisées dans les archives de la RAA) organisée au Parlement Européen par l’Assemblée des Arméniens d’Europe a démontré clairement la destruction de cet héritage culturel mondial par l’Etat turc.

Armen Hakhnazarian et sa femme Margritt Blunemann sont les principaux bailleurs de fonds de l’organisation. Une maigre partie des frais de publication est amortie par des abonnements et les quelques donations ponctuelles. Ce combat perpétuel entre et l’urgence du travail et la recherche de moyens de financements, dure depuis plus de vingt ans. La fatigue se lit désormais sur le visage d’Armen Hakhnazarian, même si rien ne semble pouvoir altérer son obstination.

Irène SHABOYAN
Erévan

http://barsamian.pagesperso-orange.fr/parevcotedazur/numeros/parev24/art34.html

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